La substitution de la warfarine par l’un des autres antagonistes de la vitamine K disponibles, à savoir l’acénocoumarol (Sintrom®) ou la phenprocoumone (Marcoumar®) n’est pas simple, notamment en raison des différences importantes de demi-vie; cette substitution n’est documentée par aucune directive ni schéma bien étayé. Chez la plupart des patients, les antagonistes de la vitamine K restent un premier choix lorsqu’un traitement anticoagulant est indiqué. Chez les patients porteurs de prothèses valvulaire mécaniques, les antagonistes de la vitamine K restent même la seule option. Les nouveaux anticoagulants oraux directs constituent, pour un certain nombre d’indications, une alternative aussi efficace mais plus coûteuse. Leur profil d’innocuité à long terme n’est pas encore connu, et ils ne sont pas indiqués chez les patients porteurs de prothèses valvulaires mécaniques.
Vu les sérieux problèmes que ceci peut poser, et qui sont approfondis dans le présent article, le CBIP et plusieurs groupes de médecins demandent donc avec insistance que la disponibilité de la warfarine en Belgique continue à être garantie au-delà du 1er mars 2019. Des schémas de transition et des avis concrets reposant sur un consensus seront encore communiqués ultérieurement.
Le fabricant de la seule spécialité à base de warfarine en Belgique (Marevan®) a fait part de son intention d’en arrêter la commercialisation, pour des raisons qui ne sont pas claires, dès le 1er mars 2019. Le CBIP déplore cette décision qui menace de faire disparaître du marché belge la seule spécialité à base de warfarine. La warfarine est l’antagoniste de la vitamine K le mieux documenté et est utilisé dans la prévention et le traitement des maladies thromboemboliques (chez les patients atteints de fibrillation auriculaire, porteurs de prothèses valvulaires et présentant une thromboembolie veineuse). La Revue Prescrire1 et la directive de Domus Medica concernant le traitement anticoagulant oral (“Orale anticoagulatietherapie”)2 préconisent également la warfarine comme premier choix parmi les antagonistes de la vitamine K, et l’algorithme de la directive a été entièrement défini en fonction de la warfarine. La warfarine est l’antagoniste de la vitamine K le plus couramment utilisé dans le monde. Il s’agit d’un médicament bon marché qui, malgré un index thérapeutique étroit, de nombreuses interactions potentielles et la nécessité d’un contrôle régulier de l’INR, est utilisé efficacement et avec grande satisfaction par de nombreux patients. Ce ne sera pas facile de substituer la warfarine par un autre anticoagulant chez ces patients.
Le CBIP et plusieurs groupes de médecins demandent donc avec insistance que la disponibilité de la warfarine en Belgique continue à être garantie au-delà du 1er mars 2019. Des spécialités à base de warfarine restent notamment disponibles en France, en Espagne et au Royaume-Uni. Des mises en garde provenant d’Australie, où sont disponibles diverses spécialités à base de warfarine, signalent d’ailleurs que même le fait de passer d’une de ces spécialités à une autre peut déstabiliser l’INR.3
Substitution de la warfarine par un autre antagoniste de la vitamine K
Au cas où la warfarine disparaîtrait, deux autres antagonistes de la vitamine K restent disponibles en Belgique: l’acénocoumarol (Sintrom® 1 mg et 4 mg, sécable en 2) et la phenprocoumone (Marcoumar® 3 mg, sécable en 4). La demi-vie de la warfarine est de 40 heures en moyenne. L’acénocoumarol ayant une demi-vie plus courte (8 h), les différences de dose (suite à un ajustement selon l’INR, mais aussi lorsque la dose est prise trop tard ou oubliée) se font rapidement ressentir et les fluctuations de l’INR sont souvent plus importantes qu’avec les antagonistes de la vitamine K à plus longue durée action. La phenprocoumone, quant à elle, a une demi-vie bien plus longue (140-160 h), ce qui induit généralement moins de fluctuations de l’INR, mais également une réaction plus lente aux ajustements de dose.
Il n’est pas possible d’émettre une recommandation scientifiquement fondée en ce qui concerne le choix entre l’acénocoumarol et la phenprocoumone. La substitution de la warfarine par un autre antagoniste de la vitamine K n’a fait l’objet d’aucune directive bien étayée. À partir d’une étude néerlandaise de petite taille4, des facteurs de transition sont toutefois proposés pour obtenir des doses d’entretien stables avec les différents antagonistes de la vitamine K. Pour la substitution de la warfarine par la phenprocoumone, un facteur de transition de 0,41 a été calculé; pour la substitution de la warfarine par l’acénocoumarol, un facteur de transition de 0,53 a été calculé.
Cette substitution devra se faire moyennant un contrôle rigoureux de l’INR. Cela provoquera inévitablement des problèmes et des erreurs ne manqueront pas d’être faites.
Substitution de la warfarine par un AOD
Pour de nombreuses indications (traitement de la TVP, prévention thromboembolique dans la FA), les anticoagulants oraux directs (AOD) constituent une alternative aussi efficace et sûre (du moins à court et moyen terme) mais plus coûteuse (tant pour le patient que pour l’assurance maladie). Chez les patients sous traitement anticoagulant en raison d’une prothèse valvulaire mécanique, les AOD sont toutefois contre-indiqués et les antagonistes de la vitamine K restent la seule option. On ne connaît pas encore le profil d’innocuité des AOD à long terme, leur effet sur la coagulation ne peut pas être contrôlé par les tests de laboratoire classiques, et certains de ces médicaments n’ont pas d’antidote. C’est pourquoi, chez les patients qui débutent un nouveau traitement anticoagulant, les antagonistes de la vitamine K restent un bon premier choix dans de nombreux cas (voir les Folia de janvier 2017). Le CBIP estime qu’il n’y a pas suffisamment d’arguments pour passer à un AOD chez les patients stables sous antagoniste de la vitamine K.
Des schémas de transition concrets seront proposés ultérieurement
En s’appuyant sur le guide proposé par la Federatie van Nederlandse Trombosediensten5, le CBIP prépare une proposition de schémas pour la transition de la warfarine à d’autres anticoagulants oraux. Quelques obstacles (transition exacte d’un antagoniste de la vitamine K à un autre, utilisation ou non de doses de charge, fréquence du contrôle de l’INR, nécessité d’un relais HBPM) doivent encore être élucidés avant de pouvoir les publier. Nous espérons pouvoir proposer ces schémas d’ici la publication du présent article dans les Folia de février 2019.
Sources spécifiques
1 Prescrire Redaction. Choisir la warfarine! Rev Prescrire 2013; 33: 197.
2 Domus Medica. Orale anticoagulatietherapie voor de huisarts. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering, 2010. Sur: https://domusmedica.be/richtlijnen/orale-anticoagulatietherapie
3 Graudins L, Chen F, Hopper I, Tideman PA, Trimaco R et al. Warfarin brands. Aust Prescr. 2015; 38: 150-51. doi: 10.18773/austprescr.2015.062
4 van Leeuwen Y, Rosendaal FR, van der Meer FJM. The relationship between maintenance dosages of three vitamin K antagonists: acenocoumarol, warfarin and phenprocoumon. Thromb Res. 2008; 123: 225-30. doi: 10.1016/j.thromres.2008.01.020
5 Federatie van Nederlandse Trombosediensten. Omschakelen van de ene vitamine K-antagonist naar de andere. In: De kunst van het doseren. Richtlijn, leidraad en informatie voor het doseren van vitamine K-antagonist. Versie december 2018; p. 148-155. Via: https://www.fnt.nl/kwaliteit/de-kunst-van-het-doseren