Dans les recommandations actuelles concernant le traitement de l’hypertension, les valeurs tensionnelles cibles suivantes sont proposées, que ce soit chez les patients à faible risque ou les patients à risque élevé (tels que les patients diabétiques, les patients atteints de troubles chroniques de la fonction rénale) : < 140 mmHg pour la tension artérielle (TA) systolique et 140 à 150 mmHg chez les personnes âgées de plus de 80 ans. Il ressort de l’étude récente SPRINT qu’un contrôle plus strict de la TA systolique (valeur cible < 120 mmHg) est associé à une diminution de la mortalité et de la morbidité cardio-vasculaire, raison pour laquelle l’étude a été interrompue prématurément. L’étude a été menée auprès d’une population fortement sélectionnée (étaient entre autres exclus les patients diabétiques et les patients ayant des antécédents d’AVC) et les résultats ne peuvent donc être directement généralisés à toutes les personnes hypertendues. Les chiffres favorables en termes de mortalité doivent en outre être mis en balance avec un risque accru d’effets indésirables graves tels que syncope ou insuffisance rénale aiguë. Dans l’attente de l’évaluation rigoureuse des résultats de l’étude SPRINT par rapport aux données antérieures, rien ne justifie pour le moment de s’écarter des recommandations en vigueur.

Ces dernières semaines, le corps médical s’est fortement intéressé à l’étude SPRINT, dont les résultats ont été récemment publiés dans The New England Journal of Medicine [1].

Dans cette étude randomisée, subsidiée par les autorités américaines, l’effet d’un traitement hypotenseur intensif (valeur cible < 120 mmHg pour la TA systolique) a été comparé à un traitement standard (valeur cible < 140 mmHg pour la TA systolique). Les critères de participation à l’étude étaient les suivants : âge minimum de 50 ans, pression systolique de 130 à 180 mmHg (sous traitement ou non) et risque cardio-vasculaire accru. Les personnes atteintes de diabète, d’insuffisance cardiaque ou ayant des antécédents d’AVC, ainsi que les personnes institutionnalisées, étaient exclues de l’étude. La durée prévue de l’étude était de 6 ans.

L’étude a été interrompue prématurément après un suivi médian de 3,26 ans en raison des résultats plus favorables dans le groupe traité de manière intensive. Le critère d’évaluation primaire (critère composite: infarctus du myocarde et autres syndromes coronariens aigus, AVC, insuffisance cardiaque ou mortalité cardio-vasculaire) était significativement moins fréquent dans le groupe traité de manière intensive, en comparaison avec le traitement standard : 5,2 % contre 6,8 % d’incidents; ce qui correspond à un Number Needed to Treat ou NNT de 61 sur 3 ans, c.-à-d. que 61 patients doivent être traités de manière intensive pendant 3 ans pour éviter 1 incident supplémentaire. La mortalité totale était également significativement moins élevée dans le groupe traité de manière intensive : 3,3 % contre 4,5 %; NNT = 90. Des effets indésirables graves tels qu’hypotension, syncope et insuffisance rénale aiguë étaient significativement plus fréquents dans le groupe traité de manière intensive. Le Number Needed to Harm ou NNH était de 90 pour la syncope, et de 56 pour l’insuffisance rénale aiguë.

Quelques commentaires et informations complémentaires

Risque cardio-vasculaire accru comme critère d’inclusion

Comme mentionné précédemment, un « risque cardio-vasculaire accru » constituait un critère d’inclusion important de l’étude SPRINT. Un « risque cardio-vasculaire accru » signifieait la présence d’au moins un des facteurs suivants :

–        troubles cardio-vasculaires symptomatiques ou asymptomatiques (p. ex. diminution de l’indice tibio-brachial), mais pas d’AVC ;

–        insuffisance rénale chronique (eGFR 20 – 59 ml/min/1,73 m2);

–        score de Framingham sur le risque d’incident cardio-vasculaire non fatal dans les 10 ans ≥ 15 % (ce score est différent du modèle SCORE utilisé en Europe pour rapporter le risque d’incident cardio-vasculaire fatal);

–        âge ≥ 75 ans.

Des investigateurs non rattachés à l’étude SPRINT estiment, sur base d’une grande banque de données nationale, qu’environ 8 % de tous les américains adultes et environ 20 % de tous les américains adultes hypertendus répondraient aux critères d’inclusion de l’étude SPRINT [2]. Ceci signifie donc aussi que les résultats de l’étude SPRINT ne peuvent pas être directement généralisés à la population totale des patients hypertendus.

Population étudiée

–        Les personnes incluses dans l’étude SPRINT (n = 9.361) étaient âgées d’environ 68 ans en moyenne, 28 % étaient âgées de 75 ans ou plus. L’IMC moyen était de 30 et l’eGFR (évaluant la fonction rénale) était de 72 ml/min/1.73 m2 au début de l’étude. Environ la moitié des patients était traitée par l’acide acétylsalicylique, 43 % par une statine, 90 % prenaient déjà des antihypertenseurs avant le début de l’étude. Au début de l’étude, un tiers des patients présentait une pression systolique ≤ 132 mmHg, un tiers présentait une pression de 132-145 mmHg et un autre tiers une pression ≥ 145 mmHg. Donc, selon les recommandations actuelles, une grande partie de ces personnes n’entrent pas en ligne de compte pour une intensification du traitement antihypertenseur.

–        Comme mentionné précédemment, les patients diabétiques, insuffisants cardiaques ou ayant des antécédents d’AVC étaient exclus de l’étude. Une grande étude publiée antérieurement, l’étude ACCORD [3], avait le même plan d’étude que l’étude SPRINT actuelle, mais portait en revanche sur des patients diabétiques et à risque cardio-vasculaire accru. Dans l’étude ACCORD, le traitement intensif n’a pas montré de bénéfice significatif sur la tension artérielle (valeur cible < 120 mmHg pour la TA systolique). La raison de ces résultats contradictoires doit encore être éclaircie.

Médicaments étudiés

Le médecin traitant était libre de choisir le traitement médicamenteux : des diurétiques thiazidiques, IECA et sartans, β-bloquants et antagonistes du calcium de type dihydropyridine ont été utilisés. Dans le groupe traité de manière intensive, les patients recevaient en moyenne 2,8 antihypertenseurs, contre 1,8 dans le groupe recevant le traitement standard. Les patients étaient suivis de manière très stricte, un contrôle étant effectué tous les 3 mois.

Critères d’évaluation

Comme mentionné précédemment, le traitement intensif s’est avéré supérieur en ce qui concerne le critère d’évaluation primaire composite et la mortalité totale.

Le bénéfice au niveau du critère d’évaluation primaire s’expliquait principalement par un bénéfice en termes d’insuffisance cardiaque et de mortalité cardio-vasculaire, il n’y avait toutefois pas de différence significative au niveau du nombre d’infarctus du myocarde ou d’AVC.

Conclusion

Dans l’attente de l’évaluation rigoureuse des résultats de l’étude SPRINT par rapport aux données antérieures, rien ne justifie pour le moment de s’écarter des recommandations actuelles . Par ailleurs, il s’avère que dans la pratique quotidienne, la valeur cible < 140 mmHg est très difficile à atteindre [4].


[1] N Engl J Med 2015 (doi :10.1056/NEJMoa1511939) avec éditorial (doi: 10.1056/NEJMe1513991 et doi: 10.1056/NEJMe1513301), publication en ligne le 09/11/2015

[2] J Am Coll Cardiol(doi : 10.1016/j.jacc.2015.10.037), publication en ligne le 31/10/2015

[3] N Engl J Med 2010 ;362 :1575-85 (doi : 10.1056/NEJMoa1001286)

[4] Heart Metab 2011 ;50 :32-5.