Message clé

Chez les patients souffrant d’arthrose du genou, une synthèse méthodique récente avec méta-analyse confirme que l’injection intra-articulaire d’acide hyaluronique n’apporte pas de bénéfice cliniquement pertinent1.

Qu’entend-t-on par viscosupplémentation ?

La viscosupplémentation (VS) se fait par injection intra-articulaire d’acide hyaluronique, une substance naturellement présente dans divers types de tissus conjonctifs tels que la peau, l’humeur vitrée, le cartilage du nez et la synovie. En cas d’arthrose, la concentration en acide hyaluronique dans le liquide synovial diminue2,3.
L’arthrose du genou (syn. gonarthrose) est une maladie chronique dégénérative pouvant entrainer des douleurs aux genoux et une limitation fonctionnelle. Avec ses propriétés de chondro-protection, l’acide hyaluronique injecté soulagerait à la fois la douleur et faciliterait la cicatrisation des fissures cartilagineuses1,4.
Depuis plus de 50 ans, la VS est utilisée comme traitement symptomatique de l’arthrose du genou. Pourtant, son efficacité et sa sécurité font l’objet de nombreux débats depuis la publication d’une première étude clinique au début des années 701,2.
Les premiers produits à base d’acide hyaluronique étaient d’origine aviaire (extrait de crêtes de coq). Cette source d’extraction étant potentiellement allergène, un procédé de fabrication synthétique (par fermentation bactérienne) est aussi utilisé3.
Sur le plan chimique, l’acide hyaluronique est un glycosaminoglycane caractérisé par la répétition de deux unités de base (l’acide D-glucuronique et la N-acétylglucosamine), ce qui  confère au liquide synovial des propriétés visqueuses et élastiques. D’une marque à l’autre, les poids moléculaires de ces produits ainsi que leur viscosité sont très variables, ce qui influence leur fréquence d’injection5.

Protocole de l’étude

  • Cette synthèse méthodique avec méta-analyse identifie 169 études randomisées, ou quasi-randomisées, publiées ou non, dont au moins 75% des participants ont une gonarthrose clinique ou radiologique (voir « plus d’infos »). Les études comparent un dérivé ou une préparation d’acide hyaluronique par injection intra-articulaire versus un placebo (solution saline ou une préparation avec des concentrations négligeables d’acide hyaluronique) ou aucune intervention. Ces études comportent au moins un des trois critères d’évaluation recherchés (douleur, capacité fonctionnelle, ou évènements indésirables graves). Seules les études avec un nombre important de patients (≥ 100 par groupe), randomisées et avec groupe témoin recevant un placebo, ont été incluses dans la méta-analyse (voir « plus d’infos »).

  • Le critère d’évaluation primaire est l’intensité de la douleur. Les critères d’évaluation secondaires sont la capacité fonctionnelle et les évènements indésirables graves. La douleur globale ou la douleur à la marche est notée par le patient sur une échelle visuelle analogique (EVA) ou mesurée au moyen des échelles standardisées que sont le « WOMAC pain » ou le « Lequesne Index ». La capacité fonctionnelle est mesurée via les scores « WOMAC function » ou « Lequesne Index ». La différence de douleur et de capacité fonctionnelle entre les groupes placebo et interventionnel est exprimée par une différence moyenne standardisée (DMS). La DMS devait être d’au moins -0,37 pour être jugée cliniquement pertinente par les auteurs. Les évènements indésirables graves sont exprimés en risque relatif.

  • Sont notamment considérés comme évènements indésirables graves : tout évènement nécessitant une hospitalisation ou une prolongation d’hospitalisation, tout évènement entraînant une incapacité majeure ou durable, et tout évènement fatal ou potentiellement fatal.

    • Quelques chiffres sur les 169 études (21 163 participants) identifiées : la médiane de la taille des échantillons est de 92 participants (écart interquartile 50 – 165). Le follow-up médian des études est de 24 semaines (8,6 – 27). L’âge médian des participants masculins est de 61 ans (58 – 64), et des participantes féminines de 62 ans (54 – 71). Le bénéfice clinique de la VS est le plus souvent constaté dans des études ouvertes (93 études comme complément d’un traitement standard comparé à un traitement standard seul), suivi par des études contrôlées par placebo (76 études).
    • Les études incluses dans la méta-analyse sont au nombre de 25 avec uniquement des RCT de plus de 100 participants. Les 9 423 participants ont un âge moyen de 62 ans. La durée médiane du suivi après la dernière injection est de 13 semaines pour la douleur et de 12 semaines pour la capacité fonctionnelle. Le nombre médian d’injections par cycle était de 3, tant pour le critère de l’intensité de la douleur que pour celui de la capacité fonctionnelle. La plupart des études comporte un cycle.

Résultats en bref

  • La VS entraine :

    • une réduction cliniquement non pertinente de la douleur liée à l’arthrose du genou, par rapport au placebo (voir « plus d’infos »),

    • une amélioration cliniquement non pertinente de la capacité fonctionnelle du genou, par rapport au placebo (voir « plus d’infos »),

    • un risque statistiquement significatif plus élevé d’évènements indésirables, par rapport au placebo (voir « plus d’infos »). La plupart des publications ne mentionnent pas de détails et les auteurs se contentent d’indiquer qu’il n’y a pas d’association avec l’intervention.

  • Selon les auteurs de la synthèse, le risque de biais était faible dans la plupart des RCT.

    • Le critère de la douleur est analysé dans 24 études contrôlées par placebo (8 997 participants randomisés). Elles indiquent que la VS entraîne une légère réduction de la douleur liée à l’arthrose du genou par rapport au placebo, cliniquement non pertinente (DMS -0,08, 95% IC -0,15 à -0,02), la différence étant nettement inférieure au seuil de pertinence clinique. Cette diminution de douleur correspond à une réduction de -2,0 mm (95% IC -3,8 à -0,5 mm) sur une échelle visuelle analogique de 100 mm, comparé au placebo.
    • Le critère de la capacité fonctionnelle est analysé dans 19 études contrôlées par placebo (6 307 participants randomisés). D’après ces études, la VS est associée à une légère amélioration du niveau fonctionnel du genou, mais cliniquement non pertinente (DMS -0,11, IC à 95% de -0,18 à -0,05).
    • Les évènements indésirables graves ont été analysés sur base de 15 larges études contrôlées par placebo (6 462 participants randomisés). La VS est associée à un risque statistiquement significatif plus élevé d’évènements indésirables par rapport au placebo (risque relatif 1,49, IC à 95% de 1,12 à 1,98). Au total, 3,7% des patients recevant une VS et 2,5% des patients recevant le placebo ont souffert d’un évènement indésirable grave. La plupart des publications ne mentionnent pas de détails et les auteurs se contentent d’indiquer qu’il n’y a pas d’association avec l’intervention.

Discussion

  • Cette synthèse méthodique apporte des preuves de haute qualité sur l’absence de bénéfice cliniquement pertinent de la VS chez les patients souffrant d’arthrose du genou, et sur l’association entre la VS et le risque d’évènements indésirables graves, par rapport au placebo. Cette étude systématique contient 80 études en plus (8 796 participants) qu’une revue importante publiée en 20126. Cette augmentation spectaculaire du nombre d’études soulève des questions d’ordre éthique, vu qu’il existait déjà suffisamment de preuves pour réfuter les avantages de la VS.

  • Cette synthèse méthodique inclue des études publiées et non publiées. Une lacune des synthèses précédentes était qu’elles n’incluaient pas les études non publiées. Ce biais de publication peut expliquer les résultats plus positifs de ces synthèses.6,10

  • Une limite de cette synthèse méthodique est que les critères d’exclusion n’apparaissent pas clairement dans la publication, ni dans les annexes. L’origine de l’acide hyaluronique varie aussi d’une étude à l’autre. Aucune information détaillée nous est donnée au sujet des évènements indésirables. Il est plausible que le risque accru d’évènements indésirables liés à la VS soit plus marqué en pratique courante, car elle concerne des patients plus fragiles que dans les études cliniques.

Conclusion et ce que les recommandations disent

  • Les résultats de cette publication ne soutiennent pas l’utilisation de la VS pour soulager les symptômes liés à l’arthrose du genou. Sur le plan international, les  guidelines les plus récentes ne sont pas unanimes. Du côté anglais (recommandations du NICE) et américain (recommandations de l’AAOS et de l’ACR), les guidelines recommandent de ne pas pratiquer ce type d’injection chez les patients souffrant d’arthrose du genou. Par contre, la société internationale OARSI le recommande3,8.

  • En Belgique, la plupart des dérivés de l’acide hyaluronique sont en vente libre sous forme de dispositif médical. Ce statut ne requiert pas des procédures d’enregistrement strictes, rendant sa commercialisation plus rapide. Le seul dérivé enregistré comme médicament est le Hyalgan®
    (cf. Répertoire 9.4.2 Acide hyaluronique). Le principe actif du Hyalgan® est d’origine aviaire et doit être utilisé avec précaution chez les patients allergiques aux protéines aviaires, aux plumes et aux produits à base d’œufs10.

  • L’arthrose du genou évolue de manière fluctuante. Des poussées temporaires peuvent survenir régulièrement, caractérisées par une augmentation des plaintes. La prise en charge de la douleur repose d’abord sur des mesures non-pharmacologiques (rééducation fonctionnelle, exercices physiques et perte de poids en cas de surcharge pondérale) à appliquer sur le long terme3,7,9.
    A court terme, un traitement pharmacologique est possible comme par exemple un AINS à usage local (cf. Répertoire 9.4 Arthrose).

 

Sources

1Pereira TV and al, Viscosupplementation for knee osteoarthritis: systematic review and meta-analysis, BMJ 2022;378:e069722. doi: 10.1136/bmj-2022-069722. Voir aussi la discussion dans Minerva.
Peyron JG and al. Preliminary clinical assessment of Na-hyaluronate injection into human arthritic joints, Pathol Biol 1974; 22(8): 31-6
3 https://www.dynamed.com/management/injection-therapy-for-osteoarthritis-oa-of-the-knee#GUID-2B8607EB-8C9B-4BD5-BD79-E47F3672C05D
4 Sharma L. Osteoarthritis of the knee. N Engl J Med 2021;384:51-9. doi:10.1056/NEJMcp1903768
5 Balazs EA. Viscosupplementation for treatment of osteoarthritis: from initial discovery to current status and results. Surg Technol Int 2004;12:278-89.

6 Rutjes AW and al. Viscosupplementation for osteoarthritis of the knee: a systematic review and meta-analysis. Ann Intern Med 2012;157:180-91. doi:10.7326/0003-4819-157-3-201208070-00473
Katz JN, Arant KR, Loeser RF. Diagnosis and treatment of hip and knee osteoarthritis: a review. JAMA 2021;325:568-78. doi:10.1001/jama.2020.22171
8 Wood G and all. Osteoarthritis in people over 16: diagnosis and management—updated summary of NICE guidance. BMJ 2023;380:p24 | doi: 10.1136/bmj.p24
9 Résumé des caractéristiques du produits, https://www.cbip.be/fr/chapters/10?frag=25700&trade_family=12476
10 Bellamy N and al. Viscosupplementation for the treatment of osteoarthritis of the knee. Cochrane Database of Systematic Reviews 2006, Issue 2. Art. No.: CD005321.
DOI: 10.1002/14651858.CD005321.pub2.