Certains progestatifs ont été associés à un risque accru de méningiome, une tumeur bénigne intracrânienne ou intrarachidienne qui, par compression, peut engendrer des symptômes tels que maux de tête, troubles visuels et crises d’épilepsie, ou compression médullaire (si le méningiome est intrarachidien).1, 2 Un possible lien entre les hormones sexuelles et les méningiomes est connu depuis longtemps.

Arguments : une prédominance féminine avec un ratio femme-homme élevé ; des cas d’accélération de la croissance pendant la grossesse et de décroissance après l’accouchement ; une influence du cycle menstruel sur l’expression clinique de certains méningiomes ; la présence de récepteurs à la progestérone dans 60 à 80 % des méningiomes ; l’expression de ces récepteurs plus importante chez les femmes et leur expression dans la dure-mère ; et enfin, un lien prouvé avec certains progestatifs comme l’acétate de cyprotérone (progestatif avec des propriétés antiandrogènes) et suspecté avec d’autres.3, 4

Suite à l’évaluation par le comité européen de pharmacovigilance (PRAC) du risque de méningiome avec la cyprotérone, la chlormadinone et le nomégestrol, l’agence européenne des médicaments (EMA) a pris un certain nombre de mesures de minimisation de risques pour la cyprotérone (en 20205) et pour la chlormadinone et le nomégestrol (en 20226). Ces mesures de minimisation de risques font suite à l’évaluation de toutes les données post-marketing, y compris trois études de cohorte rétrospectives réalisées avec les données de l’assurance maladie française et effectuées sous les auspices de l’agence française des médicaments (ANSM).3, 4, 7

Acétate de cyprotérone

Le risque de méningiome est connu depuis longtemps avec l’acétate de cyprotérone, un progestatif avec des propriétés antiandrogènes utilisé chez la femme en cas d’hyperandrogénisme modéré à sévère (seul ou en association avec l’éthinylestradiol), et comme contraceptif (en association avec l’éthinylestradiol) chez des femmes en cas d’hirsutisme ou d’acné résistante au traitement topique ou antibiotique ; chez l’homme, il est utilisé en cas de cancer de la prostate et d’hypersexualité.
Suite à l’évaluation du risque de méningiome, l’EMA5 a conclu que globalement, cet effet indésirable est rare (entre une et dix personnes sur 10 000) et augmente avec la dose cumulée. La plupart des cas de méningiome ont été rapportés après un usage prolongé (plusieurs années) de doses élevées de cyprotérone (25 mg par jour ou plus).

Quelques détails au sujet de l’étude de cohorte française concernant la cyprotérone à dose élevée (25 à 50 mg par jour).7 L’étude a suivi, au cours de la période 2006-2015, l’incidence des méningiomes traités par chirurgie ou radiothérapie dans un groupe de jeunes filles et de femmes exposées à une dose élevée de cyprotérone (« groupe cyprotérone » : dose cumulée ≥ 3 g dans les 6 mois après la 1ère délivrance) par comparaison à un «groupe contrôle» (patientes qui ont arrêté rapidement le traitement, avec une dose cumulée < 3 g dans les 6 mois après la 1ère délivrance).
  • L’incidence de méningiome était de 23,8 (groupe cyprotérone) versus 4,5 (groupe contrôle) par 100.000 personnes-années: adjusted hazard ratio de 6,6 (IC 95%: 4,0 à 11,1). Le risque augmentait avec des doses cumulées supérieures, avec un hazard ratio de 11,3 (5,8 à 22,2) pour une dose cumulée de 36 à 60 grammes, et de 21,7 (10,8 à 43,5) pour une dose cumulée de 60 grammes ou plus. Les investigateurs ont calculé une incidence de 4 pour 1.000 personnes-années chez les utilisatrices de cyprotérone à dose élevée pendant 10 à 30 ans.
  • Le risque de méningiome diminuait après arrêt du traitement. Un an après l’arrêt, le risque était encore 1.8 (IC 95%: 1.0 à 3.2) fois supérieur dans le groupe cyprotérone par rapport au groupe contrôle.
  • Cette étude française ne tenait pas compte de l’utilisation de spécialités à base de cyprotérone à faible dose (2 mg) en association avec l’éthinylestradiol, vu que ces dernières ne sont pas remboursées en France (situation au moment de l’étude), et il faut tenir compte des limitations de cette étude, vu qu’elle est de type observationnel, rétrospectif.

Les mesures de minimisation de risques suivantes ont été prises.

  • Pour les dosages de 1 mg (non commercialisé en Belgique) et de 2 mg de cyprotérone (en association avec l’éthinylestradiol) : contre-indication en cas de méningiome ou d’antécédents de méningiome. Cette contre-indication existait déjà auparavant pour les dosages plus élevés.

  • Pour les dosages de 10 mg et de 50 mg de cyprotérone : utilisation pour les symptômes d’androgénisation chez la femme seulement lorsque l’utilisation de médicaments à base de cyprotérone à plus faible dose ou d’autres options de traitement n’a pas permis d’obtenir des résultats satisfaisants. Après amélioration clinique, diminuer progressivement la dose jusqu’à la dose efficace la plus faible. Utilisation en cas d’hypersexualité chez l’homme uniquement lorsque d’autres traitements ne peuvent pas être utilisés. L’indication pour le cancer de la prostate n’a pas été modifiée.

  • Pour tous les dosages: être attentif aux symptômes de méningiome (pouvant inclure troubles de la vision, perte auditive ou acouphènes, perte d’odorat, céphalées s’aggravant, pertes de mémoire, convulsions ou faiblesse des extrémités) et arrêter le traitement définitivement si un méningiome est constaté.

Chlormadinone et nomégestrol

La chlormadinone (à 2 mg) et le nomégestrol (à 2,5 mg) sont, respectivement en association avec l’éthinylestradiol et l’estradiol, utilisés comme contraceptifs oraux. Le nomégestrol (à 5 mg) est utilisé chez les femmes non ménopausées dans les troubles menstruels associés à une production insuffisante ou nulle de progestérone et, en association avec un estrogène chez les femmes non hystérectomisées, comme traitement hormonal substitutif chez la femme ménopausée.
Suite à l’évaluation du risque de méningiome associé à la chlormadinone et au nomégestrol, l’EMA6 a conclu que cet effet indésirable est très rare et augmente avec la dose cumulée. La plupart des cas de méningiome ont été rapportés après un usage prolongé de doses élevées.

Quelques détails au sujet de l’étude de cohorte française concernant le nomégestrol à dose élevée (5 à 10 mg par jour). 3 L’étude a suivi, au cours de la période 2007-2018, l’incidence des méningiomes traités par chirurgie ou radiothérapie dans un groupe de jeunes filles et femmes exposées à une dose élevée de nomégestrol (« groupe nomégestrol » : dose cumulée > 150 mg dans les 6 mois après la 1ère délivrance) par comparaison à un « groupe contrôle » (patientes qui ont arrêté rapidement le traitement, avec une dose cumulée ≤ 150 mg dans les 6 mois après la 1ère délivrance).

  • L’incidence de méningiome était de 19,3 (groupe nomégestrol) versus 7,0 (groupe contrôle) par 100.000 personnes-années: adjusted hazard ratio de 4,5 (IC 95%: 3,5 à 5,7). Le risque augmentait avec des doses cumulées supérieures, avec un hazard ratio de 12,0 (8,8 à 16,5) pour une dose cumulée de 6 grammes ou plus. Les investigateurs ont calculé une incidence de 2 pour 1.000 personnes-années chez les utilisatrices de nomégestrol à dose élevée pendant 10 à 30 ans.
  • Le risque de méningiome diminuait fortement après arrêt du traitement. Un an après l’arrêt, le risque n’était pas supérieur dans le groupe nomégestrol par rapport au groupe contrôle.
  • Il faut tenir compte des limitations de cette étude, vu qu’elle est de type observationnel, rétrospectif.
  • L’étude ne tenait pas compte de l’utilisation de nomégestrol à faible dose (2,5 mg, en association avec l’estradiol), car cette dernière n’est pas remboursée en France (situation au moment de l’étude). Des études complémentaires sont nécessaires vu que le dosage comme contraceptif (2,5 mg par jour, 24 jours par mois ne diffère pas tellement des « doses élevées »).

Quelques détails au sujet de l’étude de cohorte française concernant la chlormadinone (2,5 ou 10 mg par jour)4 L’étude a suivi, au cours de la période 2007-2018, l’incidence des méningiomes traités par chirurgie ou radiothérapie dans un groupe de jeunes filles et femmes, exposées à une dose élevée de chlormadinone (« groupe chlormadinone » : dose cumulée > 360 mg dans les 6 mois après la 1ère délivrance) par comparaison à un « groupe contrôle » (patientes qui ont arrêté rapidement le traitement, avec une dose cumulée ≤ 360 mg dans les 6 mois après la 1ère délivrance).

  • L’incidence de méningiome était de 18,5 (groupe chlormadinone) versus 6,8 (groupe contrôle) pour 100 000 personnes-années): adjusted hazard ratio de 4,4 (IC 95%: 3,4 à 5,8). Le risque augmentait avec des doses cumulées supérieures, avec un hazard ratio de 6,6 (4,8 à 9,2) pour une dose cumulée de 8,64 grammes ou plus. Les investigateurs ont calculé une incidence de 1 pour 1 000 personnes-années chez les utilisatrices de chlormadinone à une dose de 10 mg par jour pendant 5 à 30 ans.
  • Le risque de méningiome diminuait après arrêt du traitement. Un an après l’arrêt, le risque était encore 1,4 (IC 95%: 1,1 à 1,7) supérieur dans le groupe chlormadinone par rapport au groupe contrôle.

Les mesures de minimisation de risques suivantes ont été prises.

  • Pour les médicaments contenant du nomégestrol à forte dose (3,75 – 5 mg) ou de la chlormadinone à forte dose (5-10 mg ; non disponible en Belgique) : utilisation à la dose efficace la plus faible, pendant la durée la plus courte possible et uniquement lorsque d’autres interventions ne sont pas adaptées.

  • Pour tous les médicaments à base de nomégestrol ou de chlormadinone : contre-indication en cas de méningiome ou d’antécédents de méningiome. Être attentif aux symptômes de méningiome (voir ci-dessus) et arrêter le traitement définitivement si un méningiome est constaté.

Autres progestatifs

Des données suggèrent que le risque de méningiome existe aussi avec d’autres progestatifs, seuls ou associés à un estrogène, dans le traitement hormonal substitutif.8 Une recherche dans la base de données européenne de pharmacovigilance (EudraVigilance) des médicaments pour lesquels on a notifié l’effet indésirable « méningiome » a montré que la grande majorité des rapports concerne la cyprotérone, la chlormadinone ou le nomégestrol. Quelques cas ont aussi été rapportés avec d’autres progestatifs (surtout lévonorgestrel en implant) et avec des associations estroprogestatives à visée contraceptive ou comme traitement hormonal substitutif.

Conclusion

Ces données concernant le risque de méningiome confirment l’importance de réévaluer régulièrement un traitement par cyprotérone, nomégestrol ou chlormadinone (seul ou en association avec un estrogène) et d’être attentif à tout signe évocateur d’un méningiome (voir plus haut). Le risque n’est pas clair pour les autres progestatifs.

Sources spécifiques

Progestatifs et méningiomes intracrâniens. La Revue Prescrire 2014 ; 34 : 834
Progestatifs : méningiomes (suite). La Revue Prescrire 2018 ;38 :911
3 Nguyen P et al. (2021) – EPI-PHARE – Groupement d’intérêt scientifique (GIS) ANSM-CNAM “Utilisation prolongée de l’acétate de nomégestrol et risque de méningiome intracrânien : une étude de cohorte à partir des données du SNDS”. Beschikbaar via: https://www.epi-phare.fr/app/uploads/2021/04/epi-phare_rapport_acetate_nomegetrol_avril-2021.pdf
4 Nguyen P et al. (2021) – EPI-PHARE – Groupement d’intérêt scientifique (GIS) ANSM-CNAM “Utilisation prolongée de l’acétate de chlormadinone et risque de méningiome intracrânien : une étude de cohorte à partir des données du SNDS”. Beschikbaar via: https://www.epi-phare.fr/app/uploads/2021/04/epi-phare_rapport_acetate_chlormadinone_avril-2021-1.pdf
5 EMA. Referrals. Cyproterone-containing medicinal products. (first published 27/03/2020; last update 20/05/2020)

6 EMA. Referrals. Nomegestrol and chlormadinone. (first published 02/09/22)
7 Weill A, Nguyen P et al. Use of high dose cyproterone acetate and risk of intracranial meningioma in women: cohort study. BMJ 2021;372:n37 (doi: 10.1136/bmj.n37)
8 Traitement hormonal substitutif de la ménopause et méningiomes. La Revue Prescrire 2010 ; 30 ; 118